[Marais de Cerith] Nord

[Lena]

Fror avait quitté Osthidren au petit matin avec entrain, son sac sur le dos, la tête emplie de plans et d'aménagements. Un noble d'Osthidren, un original du nom de Perwyn Osgris, avait décidé de faire construire sa maison de campagne sur des terres qu'il possédait, à l'orée des marais de Cerith. Il avait contacté le nain et lui avait demandé de lui dessiner des plans et de superviser la construction de la villa. Fror avait bien évidemment accepté. Le seigneur était réputé pour sa générosité, et le travail s'annonçant des plus intéressants.

Alors que le soleil déclinait à l'horizon, Fror arriva en vue d'une palissade. En s'approchant, il vit un homme barbu en armure, devant la porte, en grande discussion avec un jeune garçon, vêtu d'une simple tunique et de braies serrées aux chevilles. Lorsque le nain arriva à leur hauteur, le jeune garçon s'éloignait de celui qui devait faire office de garde.

"C'est ça ! Va t'promener dans les marais ! Viens pas pleurer si tu disparais toi aussi !"

Le garçon balaya la remarque d'un revers de la main et poursuivit sa progression sans se retourner. Le garde maugréa quelques mots dans sa barbe en regardant le jeune, et finit par apercevoir le nain. Il se redressa alors, avec l'intention de faire bonne impression, puis il réprima une grimace. Le nain pourrait croire qu'il voulait le prendre de haut. Tentant de cacher sa maladresse, il prit la parole :

"Heu...Bonsoir et bienvenue. Vous devez être messire Durang ?"

[Scieszka]

Fror n'était pas fâché d'arriver enfin sur les terres du seigneur Osgris. Parti le matin d'excellente humeur à la perspective de commencer un travail qui allait beaucoup lui rapporter, il était à présent plutôt bougon: la marche avait été longue, le paysage n'était pas vraiment riant, et, à son grand agacement, l'humidité ambiante était en train de faire friser les poils de sa si belle barbe.

Il leva les yeux vers le grand gaillard qui venait enfin de s’apercevoir de sa présence, et qui venait de commettre au moins trois ou quatre entorses au code de la politesse naine. Décidant de ne pas relever - après tout, le pauvre bougre n'en avait probablement pas conscience, comme la plupart des grandes gens - il répondit simplement:

"Oui, c'est bien moi. Pouvez-vous m'annoncer au seigneur Osgris, je vous prie?"

Il se demanda vaguement ce que le garde sous-entendait avec son histoire de disparition, mais ses pensées revinrent rapidement à la villa qu'il s'apprêtait à construire.

[Lena]

Le garde n'était pas très à l'aise. Si le nain décidait de se plaindre de son comportement au seigneur Osgris, il allait sûrement encore écoper de plusieurs tours de garde, ou, pire, il devrait patrouiller autour du camp.

"Le seigneur Osgris m'a demandé de vous conduire à lui. Si vous voulez bien me suivre..."

Un peu brusquement, le garde fit demi-tour et entra dans le camp. Fror le suivit et découvrit l'installation. Plusieurs tentes de toile brune longeaient les fondations qui, à sa grande surprise, étaient déjà partiellement placées. Le garde le conduisit jusqu'à une tente un peu plus grande que les autres et y entra un instant pour annoncer son arrivée. Il ressortit presque aussitôt.

"Vous pouvez entrer. Le seigneur Osgris vous attend."

Espérant que ce serait bien perçu, il s'inclina devant le nain, puis retourna à son poste. Fror entra dans la tente. Si l'extérieur ne payait pas de mine, l'intérieur ne manquait pas d'un certain confort. De lourds tapis avaient été disposés sur le sol. Une table recouverte de parchemins était placée dans un coin. En face, le noble d'Osthidren était assis sur une banquette, au milieu d'une bonne dizaine de coussins moelleux. Il se leva en voyant Fror entra et le salua, lui sembla-t-il, à la manière naine.

"Soyez le bienvenu maître Durang. Je vous en prie, asseyez-vous."

Il désigna au nain une deuxième banquette, qui paraissait tout aussi confortable. Entre les deux sièges trônait une table basse sur laquelle avait été déposées quelques victuailles.

"J'espère que vous avez fait un bon voyage."

[Scieszka]

Contrairement à son garde, le seigneur Osgris était un gentleman accompli, parfaitement au fait des bonnes manières naines. L'accueil qui lui était fait flattait Fror: son hôte était un homme de très haute importance, et sa générosité était réputée dans tout le continent. Sa belle humeur du matin revenue, l'architecte s'inclina profondément, et répondit:

"Vous m'honorez, seigneur. Mon trajet s'est déroulé sans histoire."

Puis, prenant place sur la banquette qui lui était désignée, il reprit:

"Je vois que vous n'avez pas perdu de temps avec les plans que je vous ai fournis lors de notre précédente rencontre. Je ne doute pas qu'à ce rythme-là, votre excellence verra sa villa construite dans les meilleurs délais. Je suis bien sûr à votre disposition pour veiller à ce que ce soit bien le cas."

[Lena]

Pendant une seconde, le seigneur Osgris avait semblé légèrement inquiet. Emporté par son enthousiasme coutumier, il avait ordonné le début des travaux sans attendre l'arrivée de son maître d'oeuvre. Ses ouvriers étaient qualifiés, et le travail avait probablement était bien fait, mais peut-être le nain aurait-il préféré être là dès le départ.

"Nous verrons l'avancée des travaux dès demain matin, si cela vous convient."

Mais après tout, ils n'avaient posé que les fondations. Ce n'était pas grand-chose. Rassuré par cette idée, le noble sourit et désigna la table basse où trônait une coupe emplie à ras-bord de nombreux fruits exotiques et plusieurs coupelles pleines de viande séchée marinée.

"Souhaitez-vous vous restaurer ? J'ai quelques fruits et un peu de viande séchée à disposition, mais je peux nous faire porter un repas chaud si vous préférez. Si vous avez soif, j'ai de la bière de Merilith et du vin de Beresine, un excellent cru."

[Scieszka]

Fror se leva et s'inclina devant son hôte à la manière naine. Décidément, son hôte était plein d'égards pour lui. Il accepta avec gratitude le repas.

Il avait hâte de se mettre au travail. Il tenait également à contrôler le travail déjà fait, et souhaitait remettre à son commanditaire les plans complémentaires qu'il avait élaborés, notamment pour la distribution des pièces de la future villa et sa décoration intérieure. Mais tout cela pouvait bien attendre le lendemain: la nuit était déjà tombée.

[Lena]

Le repas fut rapidement apporté sous la tente. Un serviteur rangea les parchemins éparpillés sur la table et disposa, à leur place, une nappe et plusieurs assiettes de nourriture.

Le seigneur Osgris, qui avait attendu l'arrivée de son invité pour se restaurer, se mit à table avec lui. Ils mangèrent et burent un peu de cette bière d'Eredherm qui s'avéra délicieuse. Ils échangèrent des banalités pendant un long moment, jusqu'à ce que le seigneur ait de plus en plus de mal à réprimer ses bâillements. La journée avait été longue, même pour lui.

"Peut-être désirez-vous vous reposer ? Je peux vous conduire à votre tente. Demain, nous aurons les idées plus claires."

[Scieszka]

Le Nain voyait bien que son hôte commençait à fatiguer. Lui-même avait trouvé la journée un peu longue.

"Je vous remercie infiniment, seigneur."

Il se leva et s'inclina une fois encore dans un profond salut. Puis, sur un signe de sa part, il suivit le seigneur Osgris en-dehors de la tente. Sur le trajet, il constata que les équipes d'ouvriers étaient renforcées d'une forte garde. Cela ne l'avait pas frappé immédiatement, mais le chantier avait presque des allures de camp militaire. Il s'en étonna:

"Y a-t-il beaucoup d'insécurité dans la région pour nécessiter pareille protection? Les routes du royaume sont pourtant réputées être relativement sûres..."

[Lena]

Le seigneur Osgris paraissait embarrassé. Il ne tenait pas à inquiéter son invité mais il ne voulait pas non plus avoir l'air de lui cacher quelque chose.

"Les routes sont sûres, les marais le sont bien moins. Deux des ouvriers et un contremaître ont disparu sans laisser de trace ces dernières semaines. Nous les avons cherché longtemps, sans résultats. Je sais ce qu'on pourrait penser, mais ces gens n'étaient pas de ceux qui partent sans prendre la peine d'en informer qui que ce soit."

Il soupira. Il paraissait vraiment peiné par ces évènements. Puis il se força à sourire, se voulant rassurant.

"Mais ne vous inquiétez pas trop. J'ai pris quelques mesures de précaution, comme vous avez pu le constater, et nous n'avons eu aucune disparition à déplorer depuis. Cela fait bien une semaine."

Le nain acquiesça en silence, songeur peut-être. Le seigneur Osgris s'inclina alors, lui souhaitant une bonne nuit. Fror lui rendit son salut et entra dans sa tente. De dimension légèrement inférieure à celle du seigneur Osgris, elle était tout aussi confortablement aménagée. Le sol était recouvert là aussi d'épais tapis. Une coupe de fruits frais et une bougie allumée avaient été posés sur une petite table. Juste à côté, une banquette recouverte d'un matelas et de couvertures chaudes faisait office de lit.

Quelques minutes plus tard, la lumière était éteinte et le nain goûtait à un repos bien mérité, dans un lit des plus confortables. Il ne tarda pas à s'assoupir. Plusieurs heures plus tard, il n'aurait su dire combien exactement, il fut réveillé par des éclats de voix dans le camp. Il se demanda d'abord s'il n'avait pas rêvé, mais réalisa rapidement que l'agitation était bien réelle et, de surcroît, que la nuit était encore bien noire.

[Scieszka]

Passant rapidement quelques vêtements pour être présentable, il sortit de sa tente. L'heure était très avancée et la nuit très noire: la lune, qui brillait d'une belle clarté lorsqu'il avait pris congé du seigneur Osgris, s'était couchée. D'après la position des étoiles, l'aube ne se manifesterait pas avant au moins deux ou trois heures. Cependant, le camp était sens dessus-dessous, comme une fourmilière dans laquelle on a donné un grand coup de pied. Des gardes couraient çà et là, et les éclats de voix qui l'avaient éveillé semblaient provenir d'un groupe de tentes un peu plus loin.

Il se remémora les paroles de la veille: le seigneur Osgris qui parlait de la disparition de ce contremaître et de ces ouvriers, la brève altercation entre ce garde et cet enfant lorsqu'il était arrivé. Maintenant qu'il y pensait, il se souvenait aussi avoir entendu des rumeurs de disparitions dans une auberge d'Osthidren. Il n'y avait alors pas prêté attention: les hommes qui en parlaient étaient ivres. Il commença à ressentir comme une inquiétude, et songea à son épouse et à ses enfants qu'il avait laissés si loin, dans les montagnes du Sud. Il fit un effort sur lui-même et se reprit, se disant que l'agitation de cette nuit était probablement dûe à une dispute de soldats qui avait dégénéré.

Avisant un garde qui passait par là, courant avec une lanterne dans une main et son arme dans l'autre, Fror l'interpella. C'était le même homme qui l'avait accueilli dans le camp la veille au soir.

"Holà maître garde! Savez-vous ce qui se passe ?"

[Lena]

Le garde paraissait inquiet et particulièrement pressé. Il s'arrêta à hauteur du nain, presque à contrecoeur.

"Il s'passe quelque chose dans les marais."

Il désigna d'un geste le garçon que Fror avait vu partir un peu plus tôt. Il était assis sur une pierre, essoufflé, blanc comme un linge et parlait à plusieurs ouvriers, racontant son histoire pour la nième fois.

"Le gamin y était, il a entendu des cris, des appels à l'aide. A vous glacer le sang qu'il a dit. C'était y a pas une heure. On va aller voir c'qui s'passe mais faut qu'on s'organise. Il a eu d'la chance le p'tit de revenir. Faut pas y aller seul dans ces marécages."

Il sembla hésiter un instant avant de poursuivre.

"Vraiment désolé d'vous avoir réveillé messire. Il a fallu convaincre assez d'monde, le ton est un peu monté. Les gens ont peur de quitter l'camp."

[Scieszka]

Il y avait décidément quelque chose qui clochait dans ce camp. Fror n'était pas rassuré, pas tant pour lui-même que pour la réalisation du travail pour lequel il était venu de si loin, et qui devait lui rapporter une somme non négligeable. D'autre part, il tenait vraiment à satisfaire le seigneur Osgris qui lui avait témoigné tant d'égards. Si ces phénomènes persistaient et risquaient de perturber le chantier, il fallait qu'il en sache davantage.

Le garde reparti, il s'approcha de l'endroit où se tenait le jeune garçon pour écouter ce qu'il avait à dire.

[Lena]

En se rapprochant, Fror vit que le garçon tremblotait, mais il n'aurait su dire si c'était de froid ou de peur. Ses cheveux étaient trempés et il était emmitouflé dans une couverture. Il ne paraissait pas non plus excessivement rassuré et racontait son histoire d'une voix où perçait encore la peur de temps à autre.

"...depuis une bonne demi-heure. J'voulais marcher c'est tout...on m'avait dit qu'y avait des ruines caldoréennes à voir dans l'coin. Et puis j'les ai entendus. Ces hurlements, à vous glacer l'sang."

Le garçon déglutit, leva les yeux vers son nouvel interlocuteur qu'il salua d'un hochement de tête, avant de baisser à nouveau les yeux. Il s'efforçait de se remémorer le moindre souvenir, songeant que, peut-être, ça pourrait aider. Un frisson lui parcourut l'échine. Ça n'avait rien d'une partie de plaisir.

"J'crois qu'ils étaient plusieurs, mais c'est une femme surtout qu'j'entendais. Elle hurlait, elle les suppliait d'arrêter, d'les laisser."

Les joues du jeune homme prirent une teinte rosée. Il n'avait pas très envie de raconter la suite, conscient d'avoir fait preuve d'une grande lâcheté en rentrant au camp sans avoir au moins tenté d'en savoir plus. Néanmoins, il poursuivit son histoire, tentant maladroitement de se justifier.

"Y avait des bruissements qui s'rapprochaient. Je...j'ai cru qu'ils v'naient pour moi aussi. J'ai pensé qu'il valait mieux que j'vienne chercher d'l'aide. Alors j'ai...couru, jusqu'ici."

[Scieszka]

Au récit du garçon, Fror se rendit compte que la situation était plus que sérieuse. Le pauvre avait l'air terrorisé, et honteux de lui-même. Il avait peut-être été lâche de fuir comme il l'avait fait, mais le nain ne pouvait lui en tenir rigueur: c'était un très jeune homme, et cela lui avait sans doute sauvé la vie. Le Nain s'efforça de le rassurer:

"Allons, mon garçon, tout va bien. Tu ne risques plus rien dans le camp. Et tu as sans doute bien fait de revenir si vite: si tu as donné l'alarme à temps, peut-être que les soldats ont pu intervenir pour venir en aide à cette femme et aux autres. Il n'aurait de toutes façons servi à rien que tu essaies de leur porter secours si c'était pour disparaître à ton tour. Au retour de la garde, nous en saurons peut-être un peu plus."

Se tournant vers l'un des ouvriers présents, il demanda:

"J'imagine que le seigneur Osgris est au courant? Pouvez-vous me mener à lui, je vous prie?"

Ce genre d'histoires à une demi-heure de marche à peine du chantier qu'il était chargé de mener à bien ne disait rien qui vaille à l'architecte. Il fallait qu'il ait une conversation avec son commanditaire.

[Lena]

L'ouvrier hésita un court instant. Il n'était pas certain de pouvoir déranger le seigneur Osgris en pleine nuit. Mais les circonstances étaient particulières, et celui qui le demandait n'était pas n'importe qui. Il finit donc par hocher la tête et fit signe au nain de le suivre.

La grande tente était éclairée, indiquant à Fror et à son guide que le seigneur Osgris était éveillé. Après une nouvelle hésitation, l'ouvrier entra et ressortit quelques secondes plus tard.

"Il est là, vous pouvez entrer."

Fror entra donc à son tour et trouva le noble occupé à faire les cents pas dans la pièce. En voyant le nain, le seigneur Osgris s'arrêta. L'inquiétude se lisait sur son visage. Il paraissait également quelque peu ennuyé de trouver son invité debout au milieu de la nuit. Sa route avait été longue et il aurait du pouvoir se reposer, au lieu de se réveiller au cœur d'évènements aussi préoccupants.

"Maître Durang."

Il salua le nain d'un signe de tête puis laissa passer quelques secondes, cherchant à masquer son embarras.

"Vous avez du entendre ce qui se passe j'imagine..."

[Scieszka]

"Oui, seigneur. Je viens d'entendre le jeune garçon raconter son histoire. Le pauvre est complètement sous le choc, il a l'air complètement terrorisé. Je venais justement m'en entretenir avec vous, si vous le permettez..."

Il avait vraiment l'air inquiet, et même embarrassé. Fror ne put s'empêcher de penser qu'il ne lui avait pas tout dit la veille. Il se dit aussi que, compte-tenu de la richesse et de l'étendue des terres du seigneur Osgris, il aurait tout de même pu choisir un autre endroit pour faire construire une villa d'agrément. Mais il n'en dit pas un mot: il avait bien trop de respect pour son commanditaire. Il reprit:

"... Vu l'urgence de la situation, je crois qu'il serait préférable que vous me disiez dès maintenant tout ce que je dois savoir pour mener à bien ce chantier de construction. Je peux peut-être vous aider: dans nos lointaines montagnes du Sud, nous sommes habitués à gérer des situations imprévues sur nos chantiers, avec toutes ces attaques d'orques..."

[Lena]

"Votre amabilité vous honore messire, et bien que cela me désole, peut-être allons vous avoir besoin de toute l'aide nécessaire."

Le noble soupira. L'aide contre quoi ? Il l'ignorait. Il ne savait même pas s'il leur faudrait se battre.

"Hélas, je ne peux vous en dire beaucoup plus que ce que je vous ai appris hier. Trois hommes ont disparu, il y a quelques temps. Les sorties se sont faites plus rares, et j'ai pensé qu'ils avaient simplement été victimes de malheureux accidents. Maintenant...je ne sais plus que penser. Une dizaine de mes hommes sont partis dans les marais pour trouver l'origine de ces cris, peut-être en apprendrons-nous plus à leur retour. Et peut-être les choses en resteront-elles là..."

Il s'arrêta un instant et il sembla au nain que son interlocuteur n'était pas convaincu par sa dernière phrase.

[Scieszka]

"Je suis à votre disposition, seigneur."

Fror attendit poliment que son interlocuteur reprenne la parole. Ce dernier s'attendait manifestement à ce que la situation empire, mais le nain ne pouvait en jurer. De toutes façons, il fallait attendre d'en savoir davantage.

[Lena]

Le seigneur Osgris hocha la tête avec reconnaissance, réalisant qu'il craignait particulièrement que son invité décide purement et simplement de partir, abandonnant le chantier.

"Si cela vous convient, nous attendrons le retour de mes gardes pour aviser de la conduite à tenir."

Le nain jugea que c'était sans doute la meilleure chose à faire et, après un nouvel échange d'amabilités, il retourna sous sa tente. Petit à petit, le calme revint dans le camp, et Fror commençait à s'endormir lorsque des éclats de voix lui parvinrent. Il crut comprendre des bribes qu'il entendait que des gardes étaient revenus, sans en être tout à fait certain. Il attendit quelques instants que l'on vienne l'informer de l'avancée de la situation, il avait laissé une bougie allumée pour que l'on ne craigne pas de le déranger. Mais plusieurs minutes passèrent, et rien ne vint. Dehors, les rumeurs ne faiblissaient pas...

[Scieszka]

Sortant à nouveau de sa tente, Fror essayait de comprendre ce qu'il se passait. Précédemment, il lui avait semblé que son employeur craignait qu'il délaissât le chantier, mais si tel était le cas, c'était bien mal connaître l'opiniâtreté d'un Nain en affaires. Il était bien déterminé à ne pas repartir sans avoir été payé. Et pour être payé, il fallait achever le chantier. Pour achever le chantier dans de bonnes conditions... eh bien, il fallait comprendre ce qui le perturbait, et éliminer la source de perturbations.

Sa bougie à la main, il s'avança d'un pas, cherchant du regard quelqu'un qui pourrait répondre à ses questions, tout en grommelant dans sa barbe un vague "nanmékeskispasencore".

[Lena]

Il finit par tomber sur un attroupement, non loin de la tente du seigneur Osgris. Il reconnut le garde qui l'avait accueillit quelques heures plus tôt, et plusieurs des personnes croisées lors de son précédent réveil. La plupart portaient encore leurs tenues de nuit.
Fror dénombra également huit hommes et femmes, au milieu de cet attroupement. Tous portaient des armures de cuir, plus ou moins abîmées. Deux étaient emmitouflés dans des couvertures et avaient les cheveux trempés. Certains avaient des taches de boue jusqu'aux genoux, les autres n'en avaient que sur les bottes. Ils ne paraissaient pas angoissés comme le jeune homme l'avait été un peu plus tôt, mais le Nain put lire de l'inquiétude sur leurs visages. Une femme arriva bientôt, les bras chargés d'un plateau sur lequel reposaient huit soucoupes fumantes qu'elle distribua aux gardes.

"Ah, messire, il était inutile de vous lever."

Fror prit alors conscience de la présence du seigneur Osgris à ses côtés. Il avait enfilé une tunique à la hâte, mais avait oublié d'ôter son bonnet de nuit, ce qui en toute autre circonstance aurait pu paraître du plus haut comique. Il désigna l'assemblée d'un geste.

"Mes gardes n'ont rien découvert d'alarmant et n'ont plus entendu ces cris."

Il hésita un instant et reprit.

"Deux manquent à l'appel, mais je pense que le mieux est d'attendre l'aube et voir. Ils se seront sans doute égarés ou auront juste pris un peu de retard par rapport aux autres."

Ces paroles se voulaient rassurantes, mais Fror sentait bien que le seigneur n'était pas tranquille.

[Scieszka]

"Je suis votre serviteur, seigneur."

Fror sentait l'inquiétude de son employeur croître de plus en plus. Lui non plus n'aimait pas la tournure que prenaient les événements. Deux gardes manquaient à l'appel et les autres ne semblaient guère rassurés. Peut-être était-ce simplement l'obscurité, la fatigue qui émanait de toutes les personnes présentes, ou son ignorance de la réalité du terrain dans ces fameux marais - après tout, il avait grandi et passé la plus grande partie de sa vie dans les montagnes - mais il avait la nette impression que quelque chose n'allait pas. Cependant, malgré le fait que le sommeil l'ait complètement déserté, il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre l'aube qui n'allait de toutes façons plus beaucoup tarder - et suivre les décisions du maître des lieux.

[Lena]

L'agitation s'atténua dans le camp, et Fror finit par se rendormir. Il ouvrit les yeux plusieurs heures après l'aube, se leva promptement, s'habilla tout aussi rapidement et quitta sa tente.

Des ouvriers avaient repris le chantier, mais le nain voyait bien que le cœur n'y était pas. L'inquiétude se lisait sur tous les visages. Le premier garde qu'il croisa lui indiqua que le seigneur Osgris l'attendait dans ses quartiers, où il se rendit donc une nouvelle fois.

Le noble était installé sur un siège, il avait entre les mains un plan qu'il observait distraitement. Son visage accusait le manque de sommeil et l'inquiétude, mais il se leva néanmoins avec un sourire pour accueillir le nain.

"Messire Durang. J'espère que vous avez pu vous reposer. Asseyez-vous, je vous en prie."

Il désigna un siège face au sien.

"Souhaitez-vous manger quelque chose ?"

[Scieszka]

Fror avait un peu honte de s'être rendormi. Il aurait bien mieux occupé son temps à soigner sa barbe, ce qu'il n'avait pas vraiment fait comme à l'accoutumée depuis la veille. Passant sa main dans celle-ci, il put constater avec horreur qu'elle était pleine de nœuds. Surtout, cela lui aurait permis de faire le point plus tôt avec son employeur. Mais au moins, il se sentait à peu près reposé, contrairement au seigneur Osgris, qui paraissait n'avoir pas dormi de la nuit.

Il s'inclina et accepta siège et nourriture.

"Je vois à votre mine soucieuse, seigneur, que les problèmes de cette nuit ne sont pas vraiment résolus. Vous m'en voyez vraiment navré. Pardonnez-moi de vous questionner ainsi, mais comme je vous l'ai déjà dit, mon principal souci est de mener à bien ce chantier pour votre entière satisfaction. Or, d'après ce que j'ai pu constater ce matin, cette histoire affecte fortement le déroulement des travaux. Vos deux gardes manquants sont-ils revenus? Avez-vous pu les interroger?"

[Lena]

"Hélas, nous n'avons toujours aucunes nouvelles. J'espère que l'inquiétude les a simplement poussé à quitter la région mais..."

Il laissa sa phrase en suspens, comme indiquant qu'il n'y croyait guère lui-même.

"Pour ce qui est du chantier...Vous avez du le voir en passant, personne n'a envie de travailler. Ce que je peux comprendre. Et m'est avis que nous n'avancerons pas tant que nous ne saurons pas ce qui se passe."

Il s'interrompit, cherchant un moyen d'exposer l'idée qu'il avait eu et ce qui lui semblait être la seule solution acceptable

"Il faudrait que quelques personnes se rendent dans les marais et comprennent ce qui fait disparaître ces gens. J'ai fait mander un mage d'Osthidren de mes amis qui acceptera sans doute de venir, je partirai avec lui et nous ferai accompagner de plusieurs de mes gardes."

Il hésita.

"Bien entendu...cela peut prendre du temps et j'ai cru comprendre que vous ne viviez pas tout près. Je vous offre volontiers le gite et le couvert tout le temps nécessaire..."

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