La prison

[Lena]

Bauwyn se réveilla avec un mal de crâne phénoménal. Il mit quelques instants à se remémorer ce qui s’était passé. Les Carthasaigh. L’affiche.
La milice à la sortie du tunnel. Il pouvait être certain d’une chose : cette fois, il s’était vraiment mis dans de sales draps. Au sens propre comme
au figuré. La paillasse humide sur laquelle il était allongé avait été recouverte d’un drap à la propreté douteuse. Le prêtre regarda autour de lui.
Il se trouvait dans une petite cellule, encadré par deux murs de pierre sans fenêtre. Le reste était occupé par des barreaux. Il y avait également deux autres cellules, vides. Le peu de lumière qui éclairait l’endroit provenait d’une torche accrochée au mur, si bien que le jeune homme était incapable de dire s’il faisait jour ou nuit et combien de temps il était resté inconscient. Bien entendu, sa lyre, ainsi que toute autre arme potentielle, lui avaient été confisqués.

[Lena]

A plusieurs reprise, le jeune homme avait tenté d'appeler, pour demander une explication, ou du moins tenter de savoir combien de temps il allait moisir dans cette prison froide et humide. Plusieurs fois, quelqu'un lui apporta une gamelle emplie d'un gruau beigeâtre gluant et écœurant, mais restait sourd à ses questions. Plusieurs jours s'écoulèrent, quatre ou cinq, peut-être un peu plus. Puis, un matin, il entendit la clé tourner dans la serrure. Un homme d'une cinquantaine d'année entra, arborant sur sa tunique le signe d'Andurval, et encadré par deux miliciens armés. Il l'évalua du regard, sembla hésiter quelques instants, et finit par prendre la parole :

"Bauwyn Landerval ? J'ai une proposition à vous faire."

[Grimoald]

Bauwyn se leva de sa couche d'infortune en se forçant à afficher un sourire. Il s'étira légèrement, se massa la nuque, comme s'il venait de se lever, frais et dispos, d'un lit passable dans une chambre de taverne. C'était à la fois une question de principe et de stratégie. Il ne comptait pas leur donner la satisfaction d'avoir paru souffrir beaucoup de son séjour en cellule, et s'ils venaient avec une proposition à lui faire, il n'avait certainement pas intérêt à paraître aux abois, prêt à tout accepter.

"Je vous dirais bien, selon la formule usuelle, que je suis à votre service, mais dans ma situation cela pourrait sembler un peu prématuré, répondit-il au nouvel arrivant, avec un soupçon d'insolence dans la voix. Nonobstant, que puis-je faire pour vous ?"

[Lena]

"J'irai droit au but, et je vous conseille de faire de même. Nous n'avons pas beaucoup de temps."

Le jeune homme put noter que le ton, malgré la forme, n'avait rien de menaçant. Le prêtre semblait simplement...inquiet.

"Vous n'êtes pas sans savoir que votre tête a été mise à prix. Mais quelqu'un a intercédé en votre faveur, pour commuer votre peine en service rendu au temple d'Andurval, et sans doute à la communauté toute entière. Je peux vous laisser y réfléchir, mais, encore une fois, nous manquons de temps. Je vous saurai donc gré de me répondre...rapidement."

[Grimoald]

[Je crois que tu voulais écrire : "Je vous saurais donc gré...]


Diantre. Bauwyn tenta de ne rien laisser paraître de ses émotions, tout en analysant au plus vite la masse d'informations, fussent-elles fragmentaires, qui venait de lui tomber dessus. Cela semblait à la fois meilleur... et pire que ce à quoi il s'attendait. On lui proposait une porte de sortie (il aurait volontiers parié que la main de Tumet était derrière cette "faveur"). On était apparemment prêt à ne pas se montrer trop regardant pour s'assurer de sa coopération. Et on n'avait pas peur de le montrer. Ça c'était à la fois bon et très, très mauvais. Dans les termes où la chose lui était présentée, Bauwyn sentait bien que le "service à la communauté" n'allait pas consister à repeindre une façade du Temple vandalisée par des petits voyous. Restait donc à déterminer l'équilibre entre les deux grandes inconnues de sa situation, et si possible en ayant l'air de conserver la main sur l'affaire.

"Très bien, énonça-t-il, vous voulez éviter les fioritures, ça me va. Alors allons à l'essentiel, et cartes sur table. Je sais en effet que ma tête a été mise à prix, mais je ne sais toujours pas pourquoi."

(Il se retint in extremis de préciser : "...exactement.")

"J'aimerais donc savoir précisément ce dont on m'accuse, premièrement ; et deuxièmement, quelle est la nature de ce service que vous me faites la faveur de me proposer d'effectuer."

[Lena]

Le prêtre garda le silence un instant, dévisageant le jeune homme, cherchant la moindre trace de malice. Mentait-il si bien que cela ? Ignorait-il réellement les raisons de son incarcération ? A le regarder, il était facile de le croire, de se laisser convaincre.

"Haute trahison."

Les mots lâchés, le prêtre enchaîna :

"Quoi qu'il en soit réellement, il n'est pas en mon pouvoir d'effacer ces accusations. Je ne peux que vous proposer une porte de sortie..."

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

"Peut-être le savez-vous. De nombreuses disparitions ont été signalées en Eredherm ces derniers temps. L'Ordre d'Andurval a envoyé plusieurs de ses membres enquêter. Voici donc mon offre : vous les accompagnerez et les aiderez à mener à bien leur mission. Si tout se passe bien, les charges retenues contre vous pourront être abandonnées."

Le prêtre regarda Bauwyn, cherchant à percevoir une réaction. Lui-même n'aimait guère cette façon de faire, mais il n'en voyait guère d'autre pour sortir le jeune homme de ce mauvais pas.

"Je peux vous laisser un peu de temps pour réfléchir à ma proposition, si vous le souhaitez..."

[Grimoald]

Bauwyn ouvrit des yeux ronds et fit appel à toute sa volonté pour ne pas chanceler, purement et simplement, face à l'accusation de haute trahison qui lui tombait dessus sans qu'il ait vu venir ce coup-là. Bien sûr, l'eût-il voulu, qu'il n'aurait jamais pu se cacher que son choix de carrière quelque peu particulier pouvait impliquer quelques situations risquées ; mais de la haute trahison ?? Il ne trouvait là aucun sens.

Puis le prêtre se mit à parler de disparitions et cette fois, Bauwyn n'eut d'autre choix que de s'assoir, pour ne pas dire de s'effondrer carrément, sur la couche du cachot. S'il en avait entendu parler ? Il fallait vraiment être un citadin enfermé au fond d'un temple pour formuler les choses ainsi, alors que Bauwyn, circulant par les campagnes, avait eu tout loisir de les entendre bruisser de rumeurs concernant des marais maudis, où des créatures monstrueuses capturaient et dévoraient à tour de bras - ou de tentacules -, sans oublier auparavant de jouer avec la nourriture en se livrant à d'indescriptibles tortures sur leur victimes. Un fond de superstition, quelques exagérations paysannes et des déformations de bouche à oreille devaient bien s'insinuer dans de tels bruits, mais l'inquiétude de ceux qui murmuraient à ce sujet n'était pas feinte, et toute l'affaire puait suffisamment pour que Bauwyn n'ait jamais eu envie d'aller y voir de plus près pour démêler le vrai du faux.

"En somme, murmura-t-il, si je comprends bien, vous m'offrez le choix entre une exécution douloureuse en place publique, dès demain, pour un crime que je n'ai pas commis, ou une mort toute aussi sûre et peut-être plus douloureuse encore, d'ici une semaine, au fond d'un marécage putride, en allant moi-même me jeter dans la gueule du loup. Ou des dieux savent quoi d'autre. Et vous voulez bien me laisser un peu de temps pour réfléchir... C'est vraiment trop aimable à vous."

Il perçut un mouvement de recul du prêtre, celui-ci s'apprêtant apparemment à le laisser seul dans sa cellule.

"Eh, oh !! s'exclama-t-il, relevant la tête. J'ai choisi, partez pas ! Je prends l'expédition ! J'accepte. Les marais. Car c'est bien de ça qu'il s'agit, n'est-ce pas ? C'est bon. J'en suis. Je signe."

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