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Tribulations du jeune Lazare Al Razim [titre provisoire ?]

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Message par Heg Lun 13 Fév 2012 - 21:23

Allez hop, je me lance.

Amis lecteurs, vous pourrez consulter ci-dessous un texte composé à partir d'extraits rédigés au cours de ces six derniers moins. Dans ma candeur, il me semble qu'il y a là un bon début de fic perso. J'avoue, à ma courte honte, n'avoir qu'une idée imprecise du déroulement ultérieur du récit, bien que j'en connaisse déjà certains éléments importants. Mais au Diable la timidité ! Comme je l'ai déjà dit plus haut, je me lance. Commentaires et suggestions sont, comme d'habitude, bienvenus pour m'aider à avancer. En espérant que la suite ne se fasse pas trop attendre...

Bien à vous,

S.A.S. Huître en Gelée première, Impératrice du Judas Nanas.



I.

L’après midi était déjà bien avancé lorsque le bateau arriva en vue du port de Tabbara. Debout sur le pont, appuyé sur la rambarde, Lazare scrutait la ville avec avidité. Une cité inconnue était toujours la promesse de découvertes excitantes. Les bâtiments qui en constituaient le front de mer paraissaient roses dans la lumière déclinante. Il avait entendu d’autres passagers, vraisemblablement accoutumés à la traversée depuis Aleph, parler avec enthousiasme des charmes de la cité, à la nuit venue. Lazare espérait bien faire partie de la fête.

Une fois qu’il eut posé pied à terre, il put constater par lui-même que la réputation de Tabbara n’était pas usurpée. Une odeur de poisson grillé aux épices flottait dans l’air – une spécialité de la région. Le port était propre, les rues adjacentes lavées à grande eau. On ne voyait pas de faux infirmes demander la charité, ni d’hommes déjà saouls uriner ou haranguer la foule. Une danseuse de rue, virevoltant dans ses jupes mauves et accompagnant de son tambourin le rythme de ses pas, lui sembla presque trop pimpante pour être une vraie gitane. Lazare acheva la liste de ses constatations en notant qu’aucune des tavernes et auberges qu’il avait croisées n’exhibait de lampion rouge sur sa devanture. Ca ne voulait pas forcément dire que le chaland prêt à payer pour de la compagnie féminine devrait passer la nuit seul. Simplement qu’ici, contrairement à la plupart des ports, même le dernier des loups de mer devrait faire preuve d’un peu de discrétion. A moins qu’il existât un signe propre à la région, qu’il n’aurait pas su reconnaitre. Lazare serra son coude contre son flanc pour vérifier que sa bourse était toujours à l’intérieur de sa chemise, et continua sa route.
Il repéra un établissement haut de trois étages, avec une large façade à colombages, devant lequel séchaient de gros calamars. Des tables avaient été sorties à l’extérieur de l’auberge, gênant la circulation des voitures et des carrioles. Les nombreux clients ne semblaient pas se formaliser des injures que leur lançaient les conducteurs des véhicules, et levaient leurs choppes à la santé des mécontents. L’ambiance était bonne. Lazare, cependant, choisit de s’installer à l’intérieur, tout aussi fréquenté. Des poulpes et des sèches, ainsi que de gros jambons, étaient pendus aux poutres du plafond bas. A la demande des clients, une horde de jeunes garçons et filles aux tabliers blancs découpaient de généreuses portions de viande et de fruits de mer. La pièce était saturée de fumée. Lazare choisit une des rares tables vides, contre le mur de gauche, non loin de la cheminée. Il faisait un peu chaud à son goût, mais il saurait s’en accommoder. Un jeune serveur surgit, de la suie étalée sur son visage poupin. Il retira les verres qui se trouvaient là et passa un rapide coup de torchon. Lazare lui demanda une pinte, ainsi qu’une des longues pipes qu’il avait vues entre les mains de plusieurs clients. Le garçon tourna les talons. Lazare s’autorisa un sourire narquois. Il venait de comprendre que la suie sur le visage du serveur était supposée épaissir le duvet qui lui servait de moustache. Les adolescents étaient sans doute les créatures les plus désespérées et désespérantes que l’on pouvait rencontrer.

Machinalement, Lazare se caressa le menton, où sa maigre barbe repoussait lentement. Il n’avait jamais eu une pilosité fournie, contrairement à son père et à ses demi-frères. Sa chemise fatiguée s’ouvrait sur un torse imberbe. Cela ne l’avait jamais peiné ; il savait que la virilité était une question plus subtile. Il suivit des yeux le garçon, qui maintenant parcourait la salle en portant un plateau chargé de nombreuses choppes. Il passa devant un groupe de jeunes filles qui paraissaient un peu plus âgées. Celles-ci se mirent à glousser à son passage, en se passant un doigt sous le nez. Les petites avaient l’air dégourdi, se dit Lazare, il faudrait qu’il surveille ça de près.

Le garçon revint avec la bière et la pipe, l’air contrarié. Lazare lui glissa une pièce supplémentaire, en dédommagement. « C’est pour payer le barbier, » ajouta-t-il. Le serveur ne sembla pas goûter son humour, et haussa les épaules en s’en allant. Lazare, lui, était content. A Tabbara, on ne parlait pas le modreni, sa langue maternelle, mais le silien. Faire comprendre une plaisanterie, c’était déjà une petite victoire. Mais Lazare avait toujours été doué pour les langues, il ne doutait pas qu’il y en aurait bien d’autres.
Ragaillardi, Lazare se décida à sortir de son paquetage quelques fragments de vélin jauni, une petite bouteille d'encre et son calame de voyage.

Au bout de quelques instants, combien, exactement, il n'aurait pas su le dire, il se rendit compte qu'il n'avait pratiquement rien écrit, mais fixait le vide devant lui, l'esprit ni vraiment à ce qu'il était sensé coucher sur papier, ni vraiment à ce qu'il aurait pu observer. La bière était assez légère, mais l’herbe avec laquelle la pipe avait été fourrée lui avait fait plus d’effet que prévu. La tête lui tournait agréablement. Il commençait cependant à se sentir tiraillé par la faim. Il décida de remettre son ouvrage à plus tard, rien ne le pressait, après tout, et leva maladroitement le bras. Il constata que sa motricité était également affectée. Une jeune fille au visage un peu endormi s’approcha de lui. Lazare commanda un assortiment de jambon et de fruits de mer, en commençant à espérer que manger lui permettrait d’atténuer les effets de l’herbe à pipe. Il laissa l’objet de coté un instant, et, en sirotant sa bière, se fit un devoir d'être plus attentif à ce qui l'entourait. La nuit était maintenant tombée, et la foule qui s’entassait dans la taverne était absorbée par son repas. Hommes et femmes étaient souvent assez gras, et accompagnés d’enfants qui eux-mêmes buvaient de la bière dans de petits verres, et parfois empruntaient la pipe de leurs parents. Quelques jeunes couples, des artisans ou des pêcheurs, se livraient dans les coins sombres à une cour peu farouche. De nouveau gagné par l’ambiance chaleureuse et indolente de Tabbara, Lazare se sentit quelque peu ragaillardi. Jusqu’à présent, la cité tenait ses promesses.


...


Lazare se demandait comment sa vie aurait pu être plus parfaite. En cet instant précis, il nageait dans une rare félicité. Les rayons du soleil matinal traversaient les fenêtres hautes et étroites du mur est pour venir frapper les grands bassins. Ceux-ci avaient été tapissés des plus belles mosaïques, dont les couleurs exquises et les motifs d’une incroyable élégance se reflétaient à la surface limpide de l’eau et, de façon plus diffuse, sur les arches du plafond, blanchies à la chaux. Le ruissellement des fontaines avait toujours été une de ses mélodies préférées, mais il était agréablement complété par l’écho d’une voix de femme, dans une autre pièce, fredonnant un air mélancolique. Lazare posa un instant son livre, et porta sa coupe à ses lèvres, avec mille précautions. Le doigté ferme et précis de Saala, tandis qu’elle effleurait un point critique de son dos, le fit trembler. Une goutte de jus de papaye coula le long de son menton.

« Mille excuses, petit prince, » dit-elle tandis que le garçon se retournait, l’air faussement réprobateur. Elle recueillit la goutte sur son doigt et la porta à ses lèvres. « Tu es toute pardonnée, répondit-il, les yeux rieurs. Reprends donc ! Tu faisais des merveilles. » La jeune femme attendit qu’il finisse sa boisson et reposa fermement ses mains sur un muscle précis de son dos, qu’elle se mit à étirer sans ménagement. Lazare retint un grognement, presque désemparé par le mélange curieux de la douleur et du plaisir, qu’il était pourtant venu chercher. S’il voulait conserver le privilège de passer ses moments libres en compagnie des femmes de son père, il devait s’attacher à feindre une certaine ingénuité. Certes, il n’avait que dix ans. Il s’écoulerait sans doute encore plusieurs hivers avant qu’on le soupçonne légitimement de venir chercher dans le harem plus qu’une compagnie attentive et maternelle. Mais on n’était jamais trop prudent. Il fallait reconnaitre une chose : le garçon, lui-même, n’était pas bien sûr de ce à quoi il aspirait exactement en la compagnie des ces femmes lascives, vêtues d’un simple voile noué autour de leurs hanches rebondies. Il lui arrivait parfois de l’entrevoir en rêve ; mais au réveil ne subsistait qu’un sentiment de profonde satisfaction, autant physique que morale. Lazare n’était pas totalement dénué d’instruction en ce qui concernait les rapports possibles entre mâle et femelle. Par exemple, il avait déjà vu un chien sur une chienne. Néanmoins, il avait du mal à croire que ses propres émois ne tendent pas vers quelque accomplissement plus raffiné.

Cependant, tandis que les doigts de Saala remontaient délicieusement le long de sa colonne vertébrale, il s’autorisa un soupir de satisfaction. Elle plaça les mains sur les épaules du garçon, les pousses sur sa nuque, et remonta doucement le long de son cou, jusqu’à ce que ses doigts effleurent les lobes de ses oreilles. C’était un petit rituel qu’elle avait lorsqu’elle terminait un massage. Elle attrapa les lobes de Lazare entre le pousse et l’index, et remonta le long de ses cartilages. Enfin elle ébouriffa ses cheveux courts pour signifier que toute la tension de son corps s’était à présent envolée. Lazare s’autorisa à se laisser aller contre son torse, sentant dans son dos la présence ferme de ses petits seins. Elle le cajolait comme un gros chaton, et l’embrassait sur la joue.


...


Lazare posa son kalam et souffla doucement sur son ouvrage pour faire sécher l'encre. Il relut le dernier paragraphe en corrigeant les fautes, puis l'ensemble du texte pour une vision globale, et en conçut une indéniable satisfaction. Il était toujours bon de se replonger dans des souvenirs d’enfance agréables, et encore meilleur qu'ils soient racontés avec autant d'éloquence. Tiens, encore un bon mot... Décidément, ce soir, Lazare semblait en très bon terme avec lui même.

Il délaissa son écritoire pour aller s'asseoir sur le rebord de la fenêtre, une jambe dans le vide. La chambre qu'il avait choisie, au dernier étage d'une auberge confortable, lui offrait une vue privilégiée sur Tabbara et son port. Dans la chaleur de la nuit, les bâtiments avaient perdu leur couleur cramoisie, mais la mer, reflétant les lumières du port, lui fit penser à un morceau de soie fine dansant paresseusement sur les jambes d'une femme. Il apprécia la métaphore, et se promit de s'en servir plus tard. Lazare regrettait presque de s'être déjà mis en chemise de nuit. Ecrire à propos de ses premiers émois l'avait mis dans un état d'esprit qui aurait été tout à fait compatible avec un peu de compagnie, mais malheureusement, malgré qu'il se soit longuement attardé à table et qu'il ait offert son meilleur sourire à la cantonade, ses entreprises d'établir un contact visuel durable avec une femme étaient restées lettre morte - serveuse ou cliente, de ce point de vue là il n'était pas difficile. Plus ramolli par l'herbe à pipe que réellement découragé, il avait préféré la certitude de trouver une chambre pour lui seul à l'exaltation de rechercher quelqu'une avec qui la partager. Mais maintenant que la douce brise du soir lui caressait le visage, il le sentait presque d'attaque pour une nouvelle tentative, dans un établissement qui abriterait peut être une clientèle moins familiale.

Pesant le pour et le contre, il passa une main dans ses cheveux courts, et décida que la paresse l'emportait. Il n'avait pas envie de renouer sa coiffe ce soir. De plus, il avait déjà décidé de rester en ville au moins une demi-douzaine de jours. D'autres occasions se présenteraient.

Lazare descendit de la fenêtre et en rabattit les volets délicatement ajourés, qui protégeaient de la lumière écrasante du soleil estival, tout en permettant à la brise nocturne de rafraîchir les dormeurs. Il ne s'était pas attendu à trouver ce genre d'équipement, typiquement modrenite, dans une ville située aussi au nord. Il fallait croire que Tabbara bénéficiait d'un climat exceptionnellement clément pour la région. Il s'installa enfin entre les draps frais et parfumés, et, tout à sa satisfaction, se laissa dériver vers le sommeil.


Dernière édition par Heg le Dim 25 Mar 2012 - 20:21, édité 2 fois
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Message par Macros Lun 13 Fév 2012 - 21:45

Nom de nom, pour une surprise !

Ainsi, Lazare est dévoilé au monde extérieur. Eh bien, je dois bien dire que je ne m'y attendais pas. Quoi qu'il en soit, ce premier post me parait très solide, pose bien le personnage et le décor. Les descriptions y ont la part belle, ce qui parait logique pour une introduction, et je pense que tu as assez bien réussi à instaurer une ambiance un brin "mille et une nuits". Là ou le mystère règne, en revanche, c'est sur la direction que tout ça va prendre. Pour l'instant, tu nous laisses un peu dans l'expectative.

Sinon, détail : "kalam" ? Ce ne serait pas plutôt "calame" ?

Quoi qu'il en soit, très bonne initiative.
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Message par Mélanie Mustang Mer 15 Fév 2012 - 8:55

Je suis d'accord avec Macros, voilà un texte très agréable à lire et qui rappelle un peu l'ambiance des comptes du Moyen-Orient.
Le personnages semble assez intéressant, et on est amené à se demander ce qui peut l'avoir poussé à prendre la route et à quitter la maison et le Harem de son père.

J'ai hâte de lire la suite!
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Message par Heg Mer 15 Fév 2012 - 20:33

En effet, cher ami, vous avez raison. Il se trouve, après vérification, que "kalam" designe une forme de théologie islamique et non un instrument servant à écrire. C'était donc là un malheureux incident de correction automatique. La peste soit de Microsoft Word ! (Et pas du tout ma fainéantise qui m'aurait empêchée de vérifier, non, non...)

Ecoutez, je suis contente que ça vous plaise. Je ne sais pas trop quand j'aurais quelque chose à poster ensuite, mais en tout cas, je m'y sens encouragée. Smile
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Message par Starman Jeu 16 Fév 2012 - 23:53

Ok, les clifhangers dès le premier post ca devrait être interdit, déjà.^^
Très bon post sinon, très.....atmosphérique. Bien évidemment, il est très dur de savoir vers quoi se dirige cette fic sur le long terme, mais l'univers est très bien posé.
Quand au jeune Lazare, à la limite, il est étonnament "sophistiqué" pour un gosse de 10 ans, mais ca lui donne une certaine personnalité. Peut être simplement qu'à l'avenir, il faudra faire attention à ne pas en faire juste un adulte sans poils au menton.
Bon travail dans l'ensemble donc. Bonne chance pour la suite.
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Message par Heg Jeu 23 Fév 2012 - 21:27

Tandis que le jour s'achève, et que je peine desepérément pour trouver un truc en I à mettre dans l'alphabet amestrien, voici un nouveau chapitre des Tribulations.


I. (suite)


Il rêva d'un combat de chiens. Le scénario, après avoir papillonné de façon incohérente entre plusieurs sujets fantaisistes, comme c'est généralement le cas, s'était fixé sur ce qui semblait être un souvenir d'enfance, ou peut être plusieurs, étrangement mélangés dans le théâtre de son esprit. Il savait qu'il se trouvait dans l'arrière cour, par un après-midi brûlant, en compagnie d'une vingtaine de garçons et de jeunes hommes qui formaient un cercle autour des animaux. Quelques uns, comme lui-même, étaient richement vêtus de djellabas de soie, brodées de motifs complexes, mais la majorité d'entre eux se contentaient d'un pagne ou d'une culotte de lin. Deux garçons parmi les plus grands et les plus forts retenaient les chiens en laisse, interrompant les assauts quand ils devenaient trop violents, tandis que d'autres frappaient le sol à l'aide de longues baguettes pour exciter les molosses. Tous les spectateurs étaient très bruyants, sauf Lazare, qui se frottait les yeux, furieusement. Il y avait beaucoup trop de poussière en suspension dans l'air, et la situation s'aggravait à chaque fois qu'un chien retombait lourdement sur ses pattes, ou qu'une baguette s'abattait dans un sifflement. Dés qu'il pensait s'être éclairci la vue, davantage de poussière venait lui bruler les yeux, et des larmes épaisses se collaient entre ses cils. Il tentait désespérément de suivre le combat mais, malgré les cris, il ne parvenait pas à comprendre l'action. Lazare se sentit de plus en plus anxieux. Il fallait qu'il sache quel animal allait l'emporter. Tandis que le rêve s'éternisait, le besoin de savoir devenait de plus en plus capital et pressant, mais rien n'y faisait. Douloureusement, la poussière continuait de s'insinuer entre ses paupières closes. Pourtant, il fallait qu'il regarde, il fallait qu'il sache. Soudain, il tomba à terre, et il comprit d'où provenait son anxiété. Il était lui-même un des chiens, cruellement forcé de se battre dans une arène improvisée. Mais il ne pouvait rien voir, et, paralysé par la peur, subissait les attaques répétées de son adversaire. Projeté une nouvelle fois à terre, il gémit tandis que son corps heurtait le dallage frais.

Cette sensation, complètement incompatible avec l'univers de son rêve, le ramena à la réalité. Tandis qu'on l'arrachait au sol, il réalisa plus ou moins que la douleur qu'il ressentait un peu partout n'était, elle, pas imaginaire. Mais ses réflexions furent malheureusement interrompues quand il s'écrasa contre son bureau, envoyant au passage valdinguer calames, parchemins et bouteilles d'encre. Lazare se retrouva de nouveau au sol, et se recroquevilla contre un des pieds de table, dans l'attente de nouvelles brutalités. Il reçut quelques coups de pied dans les côtes, appliqués avec ce qui lui sembla être la précision de l'habitude. Ses agresseurs paraissaient beaucoup s'amuser. Ils riaient, et l'invectivaient en silien, avec un fort accent que Lazare ne comprit pas. Finalement, deux hommes l'empoignèrent par le dessous des bras, et le soulevèrent vigoureusement. Il en fut presque soulagé, car il ne se sentait pas du tout en était de se relever tout seul. Dans la pénombre, Lazare dénombra deux ou trois personnes, en plus des gaillards qui le maintenaient debout. L'un d'entre eux découvrit alors une lanterne, et la peine que lui infligea l'éblouissement soudain fit cruellement écho avec celle qu'il avait ressentie durant son rêve inachevé. L'homme qui tenait la lanterne était d'âge moyen. Son crâne rasé contrastait avec ses sourcils épais et le bouc qui ornait son visage narquois. Son accoutrement était de très mauvais goût et il portait un anneau d'or à son oreille gauche.

Le sourire de l'homme s'élargit, et il s'exclama :
"Alors, Guillermino, on avait pas envie de payer ses dettes ?
- Je vous demande pardon ?"
Lazare était trop décontenancé pour répondre quoique ce soit de plus percutant. La raclée qu'il venait de prendre ne lui était même pas destinée. L'homme au crâne rasé ne sembla pas s’en troubler. Un peu en retrait se trouvait une femme légèrement plus jeune, au visage dur, très sobrement vêtue d’une combinaison noire bouffante. La tête penchée sur le coté, elle scrutait Lazare avec intensité, d'un air renfrogné. L'homme reprit :

" Mauvaise réponse, garçon. Tous les mauvais payeurs nous font le coup. Fallait réfléchir avant d'arnaquer Tommaso Lombardon. "

Lazare déglutit. Tentant de dissimuler sa peur, il expliqua d'un ton qui se voulait offusqué qu'il était arrivé le jour même à Tabbara et n'avait pas eu le temps de contracter une quelconque dette. Il n'avait par ailleurs jamais entendu parler d'un Tommaso Lombardon. Aucun des hommes présents ne paraissait accorder de crédit à son histoire, d'autant plus que la nervosité le faisait bégayer et qu'il reniflait bruyamment pour contenir le filet de sang qui avait commencé à s'écouler de son nez. Durant son récit, le troisième individu, un homme très petit et très mince, se mit à inspecter ses affaires et son sac de voyage, abandonnés au pied de son lit. Il ne tarda pas à trouver la bourse de Lazare, fouilla encore un peu, et se retourna vers le chauve.

"C'est tout ce qu'il a.
- Oh, vraiment ? répondit-il d'un air faussement contrit avant de se retourner vers Lazare. C'est très décevant, Guillermino. On a déjà tout dépensé ? Dans des encres à la con, peut-être ?
- Je vous en prie, répondit Lazare les dents serrées, vous faites erreur ! Je suis juste un scribe itinérant.
- Allez, c'est ça ", interrompit le chauve en donnant un coup de pied dans le tesson d'une fiole de bleu. " Tu prétends être scribe, hein ? Je suppose que ça tomberait mal si on te cassait tous les doigts de la main. "

Lazare se fit fugacement la réflexion que le personnage qui se trouvait en face de lui ressemblait à une mauvaise caricature de brigand faite par un barde à trois sous qu'il avait croisé lors de ses voyages. Mais sa terreur n'en était pas moins réelle. La menace proférée avait touché juste. Son cœur s'accéléra tandis que l'homme à sa droite attrapa son poignet pour le tendre à son patron. Il ferma les yeux comme si la pression de ses paupières pouvait, quelque part, amoindrir la douleur qu'il s'apprêtait à ressentir dans la main. Ce qui était sûr, c'est qu'il ne voulait pas assister au spectacle de ses extrémités violemment mutilées. Il retenait son souffle tandis que le chauve affermissait sa prise sur son index.

" En fait, je ne crois pas que ce soit Guillermo."

C'était la femme qui venait de parler. Lazare avait presque oublié son existence. Tandis que le chauve suspendait son mouvement, il rouvrit l'œil, et lui accorda un regard implorant de gratitude, qu'elle ignora froidement. Elle eut une oscillation étrange de la tête, qui fit balancer sa très longue tresse de cheveux châtains.

"Mais enfin, il correspond parfaitement à la description qu'a faite Kees.
- Je sais, il y ressemble beaucoup. Mais j'ai déjà croisé Guillermo, une fois. Je suis à peu près sûre qu'il avait le nez plus court, et les yeux plus écartés."
Lazare baissa la tête, espérant que cela ferait paraitre son nez encore plus long.
"Comment ça, à peu près ? Ca ne veut rien dire. Laisse-moi régler ça. C’est pas le premier qui nous fait le coup de l’erreur."
La femme renifla dédaigneusement.

"Réfléchis. Pourquoi Guillermo se ferait-il passer pour un scribe ? En plus, ça n'aurait aucun sens qu'il vienne se réfugier dans la chambre d'une des auberges de son père. S'il voulait vraiment être en sécurité, il serait resté à la villa familiale, qui est bien mieux gardée. Ou il aurait quitté la ville. C'est une grosse somme, qu'il doit, Guillermo. "

Elle croisa les bras, signe que la discussion était close. Le chauve la toisa du regard, le visage grimaçant. "Et merde !" s'écria-t-il en tordant violemment l'index de Lazare, qui se cassa instantanément. "Putain, les gars, on se casse !" Les deux brutes lâchèrent Lazare, qui se laissa tomber au sol, gémissant. Les cinq hommes et femmes de main sortirent tranquillement dans le couloir, comme s'ils revenaient d'une visite de courtoisie. Bien après que la lueur de leur lanterne ait disparu dans les escaliers, Lazare était encore agenouillé, gémissant de douleur alors qu'il enroulait sa main blessée dans les longs pans de sa robe de nuit.


Dernière édition par Heg le Dim 25 Mar 2012 - 20:23, édité 1 fois
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Message par Macros Jeu 23 Fév 2012 - 21:43

Sauvé par le gong.

Bon, j'avoue que la scène du rêve est un peu étrange. D'un autre côté, c'est vrai que les rêves sont souvent un peu étranges.
Ensuite, force est de constater que y'en a un qui est poissard, là, pour se faire prendre à partie par des types qui lui balancent au visage des noms qui fleurent bon la mafia sicilienne. Ca suscite encore quelques interrogations, cela dit : là, à chaud, ça fait très rencontre aléatoire. Est-ce que ça jouera un rôle dans la suite de l'intrigue, ou bien c'est juste pour poser la base : ce gars là a pas de chance ? Le temps nous le dira, je suppose.

Sur le plan de l'écriture, à priori, rien à redire, c'est du très bon, comme d'hab.

Bref... une suite de chapitre plaisante, mais qui ne nous en dit pas encore beaucoup. Ce qui signifie... à quand la suite ? ^^
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Message par Lena Sam 25 Fév 2012 - 16:06

J'aurai mis le temps, mais voilà, c'est lu. Et vieux motard que jamais, comme dirait l'autre.

Alors, côté forme, je dois dire que je n'ai vraiment pas grand-chose à redire. J'ai tiqué sur un "malgré que", mais renseignement pris, parait que c'est plus ou moins passé dans le langage courant. J'ai relevé une ou deux petites fautes ("sensé coucher sur le papier" à la place de "censé", notamment), mais rien de dramatique. Le style est bon, fluide, agréable à lire, on visualise plutôt bien la (les) scène(s).

Le rêve ne m'a pas posé de problème, la transition avec le réveil est d'ailleurs tout à fait bien trouvée. Ce qui m'a un peu gêné par contre, c'est le changement d'avis de la femme. On dirait qu'elle change juste d'avis, comme ça, sans raison. Peut-être qu'elle aurait pu commencer par un "Attendez", avant d'observer Lazare plus en détail. Ou peut-être que c'est un choix de ta part et qu'on comprendra plus tard pourquoi ça a été écrit comme ça.

Enfin, tout ça me parait assez prometteur. J'attends donc avec curiosité de lire la suite...
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Message par Mélanie Mustang Sam 25 Fév 2012 - 20:38

Chapitre assez bizarre s'il en est... J'avoue qu'il me laisse un peu dubitative... Mais c'est toujours aussi bien écrit.

Donc, j'attends la suite pour savoir où tout ça nous mène!
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Message par Heg Mer 29 Fév 2012 - 21:50

Hop hop hop, voici la suite et fin du premier chapitre de notre aventure. Je pense qu'il devait éclaircir certaines de vos interrogations, quant à ce vers quoi le recit se dirige. Mais, rassurez-vous, il pose autant de question qu'il n'en resout.

Avant de poster la suite, je pense prendre un peu de temps pour mettre à votre disposition une version mise en page et légèrement révisée du chapitre dans son intégralité, histoire de dissiper, notamment, quelques malentendus quand à l'âge de notre héros. Mais en attendant :




I. (suite en fin)


L’aube trouva Lazare dans la chambre du gérant. Le ciel nocturne avait viré au gris, puis au rose, et la ville avait retrouvé ses couleurs tendres dans la lumière du matin, mais Lazare ne se sentait plus du tout le bienvenu. Oh, le gérant n’était pas à blâmer ! Alerté par le bruit de son passage à tabac, il était venu lui porter assistance et lui avait prodigué les premiers soins, du moins dés qu’il avait été certain que les brigands ne risquaient pas de revenir. Il avait accompagné Lazare dans la petite chambre, attenante à l’entrée de son établissement, où il passait ses nuits, et lui avait bandé la main avec une certaine expertise, puis lui avait apporté une bassine d’eau chaude et un linge propre pour se nettoyer le visage, et l’avait laissé se reposer. Après de rapides ablutions, Lazare s’était allongé sur la couche en bois, étroite, et presque trop courte pour lui, et avait tenté de se rendormir, mais le sommeil le fuyait.

Bien sûr, son doigt le faisait souffrir, quoique la douleur soit devenue beaucoup plus supportable depuis que sa main avait été immobilisée, et traitée avec un onguent, qui, à l’odeur, devait contenir de la menthe et de la cardamome. Cette dernière était une plante suffisamment précieuse pour que Lazare se sente touché par la sollicitude du gérant. Mais il s’agissait là d’une piètre consolation. Pour Lazare, une main inutilisable était une catastrophe. A ce moment précis, il n’avait qu’une envie : quitter Tabbara au plus vite. Mais avec toutes ses économies envolées, il n’avait plus les moyens de s’offrir le bateau retour vers Aleph, pas plus qu’il ne souhaitait tenter sa chance dans l’arrière pays, pour dormir sur le bord des routes, en attendant de se refaire au milieu de paysans qui, il le savait d’expérience, avaient toujours constitué une clientèle peu enthousiaste. Scribe de son état, Lazare, qui aimait la vie nomade, gagnait son pain sur les marchés urbains. Son talent de calligraphe et son sens de la formule lui permettaient de rendre quelques services à la communauté, trouvant les mots justes à la place d’un amoureux maladroit, rédigeant un contrat ou une reconnaissance de dette quand l’une ou les deux parties étaient analphabètes – et méfiantes. Les affaires marchaient bien, en général, car Lazare se révélait capable d’une grande délicatesse quand le client était prêt à payer pour un service de qualité, mais ne rechignait pas pour autant à effectuer des prestations plus modestes.

C’étaient parmi ces dernières que résidait son dernier espoir. L’idée lui avait d’abord parue stupide, mais les poèmes prêts à la vente avaient beaucoup de succès. Pour une pièce de cuivre, Lazare ajoutait simplement le nom désiré dans les espaces prévus à cet effet, au milieu d’un court poème déjà rédigé, souvent lors de ses périodes d’attente entre deux caravanes, ou le soir, quand l’inspiration n’était pas au rendez-vous. Il en existait une douzaine de versions, prévues pour rimer avec les prénoms féminins les plus courants, et Lazare était presque sûr qu’il les avait conservés dans une poche intérieure de son bagage, là où ils n’avaient pas été maculés par l’explosion de ses fioles d’encre. Si les clients n’étaient pas trop regardants, et c’était généralement le cas de ceux qui ne dépensaient pas plus d’une pièce de cuivre pour leur bien aimée, il pourrait écouler son stock de parchemins correctement calligraphiés, en ajoutant les prénoms de la main gauche, en lettres un peu tremblantes. Si on lui demandait, il dirait que c’était la dernière mode à Jaldora, et puis voilà.

Lazare soupira fortement. De quoi essayait-il de se convaincre ? Son stock ne dépassait pas quelques dizaines de pièces, et, même en les vendant au triple de leur prix habituel, jamais il ne pourrait récupérer assez d’argent pour vivre décemment jusqu’à ce que sa main soit guérie. Sans parler de remplacer le matériel détruit par ses agresseurs. Il évoqua un instant la possibilité de surmonter la douleur et de reprendre le travail de la main droite, mais un infime mouvement de l’index, ravivant une terrible douleur dans toute sa main, l’en dissuada. Il ne lui restait plus qu’à méditer sur la terrible injustice du sort, et à se préparer à des temps bien difficiles. Après tout, ça n’était pas la première fois qu’il était la victime innocente de la brutalité humaine.


Il fut tiré de ses réflexions amères par le retour du gérant, qui entra en écartant le rideau d’un coup sec, tandis que de l’autre main il portait un plateau sur lequel reposaient une théière, deux tasses et une assiette de petites pâtisseries aux raisins secs, qu’il posa sur un guéridon, au chevet de Lazare.

« Vous vous doutez que je n’ai pas de quoi payer mon petit déjeuner, je suppose ? »
Le gérant lui lança une œillade faussement offusquée, et répondit d’un ton débonnaire.
« C’est la maison qui offre. Avec toutes ses excuses pour votre mésaventure. »
Il laissa s’écouler quelques secondes de silence paisible, durant lesquelles il versa un peu de thé dans une des tasses, constata qu’il était trop clair, et le remit à infuser dans la théière. Puis il ajouta, d’un air sérieux, sans être vraiment grave :
« J’ai fait le ménage dans votre chambre. Il ne vous reste plus qu’à me dire ce que vous voulez garder de vos affaires, et ce que vous préférez que je jette. »

Lazare lui jeta un regard morose et fatigué, acquiesça d’un infime mouvement de tête, mais resta muet. Ca ne semblait pas déranger le gérant, qui entama l’assiette de pâtisserie avec appétit, peut être pour inciter Lazare à faire de même. Il était vrai qu’il serait idiot de bouder un repas gratuit dans sa situation, mais le scribe ressentit son égo se froisser légèrement.

Ils mangèrent en silence. Lazare mit ce temps à profit pour observer son compagnon de plus près. Il y avait quelque chose, dans sa physionomie, qui lui paraissait étrange, sans qu’il puisse vraiment mettre le doigt dessus. Peut-être la façon dont ses mains, larges et plates, manipulaient la lourde théière en fonte. Peut-être ses yeux, très petits et très noirs, sans presque de blanc autour, comme un animal, qui lui donnaient un regard étrange, à la fois intense et vaporeux. Le gérant se gratta la joue, qui semblait recouverte d’une pilosité particulièrement dense. Bien qu’il se soit rasé quelques heures plus tôt, en présence de Lazare, la peau de son visage avait recommencé à bleuir presque jusque sous ses yeux. Lazare eut une soudaine inspiration : il était presque certain que le gérant était à moitié Nain.

Les indices concordaient. Bien que le peuple de la Montagne se serve, à l’époque contemporaine, de lourdes machines et d’outils sophistiqués pour explorer et exploiter les ressources du sous-sol, ses membres avaient conservé dans leur apparence les traces du temps immémoriaux où ils creusaient leurs trous à main nues, avec leurs larges paumes, leurs ongles durs et leur bras puissants. Leurs petits yeux noirs étaient d’une acuité presque surnaturelle dans l’obscurité complète, et leur pilosité fournie protégeait alors leur peau et leur permettait de glisser plus facilement dans d’étroits boyaux, malgré leur physique trapu. Même si, selon les standards nains, l’homme en face de lui aurait sans doute été considéré comme grand, fin et glabre, il était indéniable que du sang de Montagnard coulait dans ses veines.

Lazare croisa le regard du gérant et se rendit compte qu’il fixait se dernier avec insistance. Gêné, il détourna précipitamment les yeux. Il lui sembla qu’un éclair fugace de compréhension avec circulé entre eux, mais si son vis-à-vis en était affecté, il n’en montra rien. Il avait l’attitude placide de quelqu’un qui s’est habitué depuis longtemps à l’ordre de choses. Lazare avait eu quelques brefs contacts avec des Nains, car un certain nombre d’entre eux habitait la cordillère qui marquait la frontière naturelle entre Modren et Daradone, mais il était difficile d’estimer leur nombre exact, car, à de très rares exceptions près, leurs incursions dans le monde humain se limitaient aux nécessités du commerce, sans y adjoindre la cordialité qui, souvent, sert de lubrifiant aux transactions marchandes. Lazare n’avait aucun moyen de savoir lequel des parents du gérant était Humain, et lequel était Nain, mais il était à peu près certain qu’il n’avait pas pu choisir le côté duquel on avait accepté de l’élever. Il était probable que les Montagnards n’acceptaient pas de bâtards dans leurs rangs.

Lazare ressentit une certaine sympathie pour le métis, qui de plus c’était montré très cordial. Mais ça ne changeait rien à sa propre situation.


« J’ai envoyé un pigeon au propriétaire, déclara soudain ce dernier. Il propose de vous offrir quelques nuits, pour votre peine.
- Est-ce qu’il m’offre le coucher pour une lune entière ? Parce que sinon, ça ne fait que repousser l’inévitable », répondit Lazare en agitant sa main blessée en direction un gérant. Ce dernier se renfrogna.
« Ecoutez, moi je veux bien être gentil, j’ai plaidé en votre faveur auprès de mon patron. Mais c’est un commerçant, il n’a pas envie de dépenser une petite fortune pour un inconnu, même un client potentiel. C’est déjà bien qu’il m’ait cru quand je lui ai rapporté que vous aviez été victime d’une erreur de la part de vos agresseurs. S’il avait pensé que vous aviez personnellement maille à partir avec la pègre, il m’aurait demandé de vous jeter dehors sans ménagements.
- Ce monsieur est trop aimable, vraiment. »

Lazare s’apprêta à ajouter qu’il n’avait aucune leçon à recevoir du propriétaire, sachant que c’était tout de même son fils qui était la véritable cible des brigands, mais il se ravisa. Il se rappela pourquoi il avait préféré dissimuler cette information au gérant la première fois qu’il lui avait raconté son histoire. Quelles étaient les probabilités pour que ce produise un tel quiproquo ? Il aurait sans doute eu l’air d’accuser aveuglément la famille du propriétaire dans l’espoir de défendre sa réputation auprès du gérant. Ou pire, de tenter de les faire chanter. S’il devait vraiment utiliser cette information, autant la dévoiler dans des circonstances plus opportunes.

Un nouveau silence s’était installé entre les deux hommes, cette fois-ci un peu inconfortable et maladroit. Lazare n’avait pas envie de se fâcher avec le gérant, qui s’était montré plus que serviable, et même lui inspirait, par son attitude, de la sympathie. La clochette tinta dans le hall de l’auberge. Le gérant se leva d’un mouvement souple, et disparut derrière le rideau. Lazare rassembla ses pensées. Il n’avait pas grand-chose à perdre en tentant sa chance directement auprès du propriétaire, qui serait d’ailleurs peut être content qu’on le mette au courant des errances de son rejeton. Ca n’était pas dénoncer, c’était rendre service, non ? Et puis, si ça ne marchait pas, il serait de retour sur le marché avant le zénith, prêt à faire de pitoyables affaires en vendant des poèmes de mauvaise qualité.

Quand le gérant revint, Lazare avait terminé son thé, et s’était mis debout. Ils montèrent dans la chambre de Lazare, où celui-ci récupéra son paquetage et quelques fragments de parchemin qui n’étaient pas trop maculés d’encre. Heureusement, il lui restait encore un calame en état de fonctionnement, et son encrier de secours, bien en sécurité parmi ses vêtements roulés en boule. Lazare présenta sa requête tandis qu’ils redescendaient vers le hall. Le gérant, surpris, tenta de le dissuader d’aller ennuyer le propriétaire chez lui, arguant que ce dernier était relativement peu enclin à écouter les doléances, mais Lazare préféra insister, quitte à passer pour un imbécile. Ce qu’il était peut être, après tout. Il se trouvait déjà au seuil de l’établissement quand le gérant, de guerre lasse, haussa les épaules.

« Bon, puisqu’il n’y a pas moyen de vous faire changer d’avis, vous trouverez le propriétaire chez lui, dans sa villa, sur la colline que vous voyez là-bas, dit-il en agitant le bras en direction du ponant.
- Vous êtres un chic type !
- Attendez de l’avoir rencontré avant de me remercier. Vous suivez la route qui monte jusqu’à la fontaine avec la statue d’un lion, puis vous tournez à droite en longeant la pinède. Au bout d’un moment, vous allez tomber sur un portail assez massif, orné de têtes de lions, lui aussi. Vous ne pourrez pas vous tromper : vous serez à la villa d’Hakim Al Razim. »

Lazare manqua de trébucher sur les marches du perron, et se rattrapa à la tunique du gérant, qui l’aida à retrouver son équilibre. Ce dernier ne vit pas son trouble, sans doute attribua-t-il sa maladresse à une nuit trop agitée. Il reprit comme si rien ne s’était produit :
« Al Razim, c’est un nom de chez-vous, non ?
- Oui, oui, bredouilla Lazare.
- Ce n’est pas si souvent qu’on croise vos compatriotes en ville, avec un peu de chances, ça l’adoucira, mon patron. » Il sourit avec bienveillance. Lazare lui tendit une main légèrement tremblante, qu’il serra avec chaleur. Puis il reprit d’un air plus sérieux :
« Et si vraiment vous vous retrouvez sans le sou, ne passez pas la nuit dans la rue. Ca serait bête de faire d’autres mauvaises rencontres. Revenez me voir, je vous dépannerai. Il y a une couchette dans l’arrière cuisine. Si vous trouvez une jeune femme à ma place, c’est ma fille. Dites que vous venez de la part de Lorio. »

Lazare se sentit sincèrement touché. Il remercia Lorio aussi chaleureusement qu’il put, et enfin s’éclipsa, en faignant l’optimisme quant à son expédition.


Il marcha un peu au hasard, et finit par s’assoir sur un banc qui profitait de l’ombre bienvenue d’un tilleul, au milieu d’une petite place. Une nouvelle fois, il maudit l’ironie du sort. Il avait perdu le compte des années depuis qu’il avait choisi de rompre les ponts avec son frère, et voilà que le sort le jetait en travers de sa route. Ce dernier avait manifestement bien réussi dans la vie - propriétaire de plusieurs auberges et d’une villa à flan de colline - tandis que lui-même se trouvait dans une position de grande vulnérabilité. Mais jamais Lazare ne pourrait s’abaisser à lui demander une faveur, et surtout pas de l’argent. Enfin, si Hakim avait réussi dans les affaires, au moins n’avait il pas eu autant de talent dans l’éducation de son fils, qui était visiblement assez stupide pour s’endetter auprès d’un baron de la pègre. Il eut une pensée amère pour Guillermo. Son neveu. Cela expliquait sa ressemblance malheureuse avec le jeune homme.

Lazare resta absorbé dans des pensées lugubres une demi-heure durant, peut être plus. Puis il décida de se secouer un peu. Il avait subi un revers de fortune, et alors ? Ca n’était pas la première fois que ça lui arrivait. Une fois encore, il saurait se sortir tout seul du pétrin. Resserrant sa prise sur son paquetage, il se dirigea vers le marché d’un pas décidé.
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Message par Macros Ven 2 Mar 2012 - 10:14

Bien, voici donc la dernière partie du chapitre... Déjà, effectivement, on sent que les trois morceaux forment un tout, dont la lecture séparée prête un peu à confusion, mais bout à bout, ça s'éclaire davantage. Je ne dirais pas que ça répond à toutes nos questions, mais on sent une intrigue commencer à se mettre en place.

Bon, sinon, je vois que tu t'es décidée pour l'univers dans lequel cette fic se déroule. J'en profite donc pour signaler que Jal'Dora prend une apostrophe. Ah ah. Et à part ça, je vois que tu es attachée aux calames, maintenant. Rolling Eyes

Blagues à part, cette conclusion, à mon avis, lance vraiment le récit. Jusqu'à présent, tu nous laissais un peu dans l'expectative, mais on dirait que ces temps de glorieuse incertitude sont révolus. On commence à avoir un meilleur aperçu de la personnalité de Lazare, et du monde qui l'entoure. Maintenant, ce n'est pas une raison pour te relâcher, on attend encore beaucoup de la suite !
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Message par Mélanie Mustang Sam 3 Mar 2012 - 20:13

Et comment qu'on attend beaucoup de la suite! (Je vais imiter les jury de The Voice, je BUZZ!!! pour la suite^^)

Voilà une fin de chapitre très intéressante en effet. On en apprend un peu plus sur la famille de Lazarre et on découvre que ça a l'air de faire un sacré long moment qu'il voyage.

J'attends le prochain chapitre avec impatience^^
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